Détection de neuromarqueurs d’une tâche de parole intérieure par électro-encéphalographie: application à la détection d’hallucinations auditives verbales
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Contexte
Les régions cérébrales impliquées dans la production de la parole ont été repérées dès le milieu du 19 siècle par Paul Broca, médecin et chercheur français, qui a d’ailleurs donné son nom à l’aire cérébrale principalement concernée. De nombreux marqueurs d’activité cérébrale (neuromarqueurs) corrélés à la réalisation de cette tâche peuvent être mis en évidence dans d’autres régions du cerveau, notamment dans l’aire de Wernicke qui est principalement associée à la compréhension du langage.
La “parole intérieure” est considérée comme une tâche très similaire à la production de parole, durant laquelle la parole est produite par simulation sans aller jusqu’à l’articulation (Rapin 2011). L’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf) permet de localiser avec une bonne précision les zones cérébrales activées lors de la réalisation d’une tâche de parole intérieure, sans aller toutefois jusqu’à pouvoir expliquer clairement les différents corrélats mentaux de cette tâche (Loevenbruck et al. 2019).
Du point de vue de l’activité cérébrale, certaines études tendent à montrer que les hallucinations auditives verbales (HAV) sont très similaires à la parole intérieure (Chung 2023). Les HAVs font partie des symptômes phasiques qui handicapent le plus les patients souffrant de troubles psychiatriques sévères, comme la schizophrénie. On considère qu’environ 25% des patients concernés ne voient pas d’amélioration de leurs symptômes quand ils reçoivent un traitement pharmacologique ou psychologique.
Récemment, de nouvelles voies thérapeutiques ont été envisagées par traiter les HAVs, parmi lesquelles le neurofeedback par IRMf (Fovet et al. 2016). L’activité cérébrale du patient est enregistrée en continu, analysée afin d’extraire des neuromarqueurs, dont certaines caractéristiques sont enfin transformées en informations sensorielles simples renvoyées au patient. Cela lui permet de reprendre le contrôle de son activité cérébrale, et donc potentiellement diminuer certains symptômes.
État des recherches dans les laboratoires CRIStAL et LILNCOG
Pour l’instant, les neuromarqueurs potentiellement utiles pour mettre en œuvre une boucle de neurofeedback sont obtenus en analysant des signaux IRMf. Alors même que les études cliniques sont encore en cours pour prouver son efficacité, ont sait déjà que l’utilisation de cette nouvelle approche thérapeutique sera très limitée du fait de la difficulté d’accès aux installations d’imagerie d’IRMf. Il est donc indispensable de commencer à envisager dès maintenant une autre modalité d’imagerie fonctionnelle, notamment l’électro-encéphalographie (EEG).
Le laboratoire “Lille Neuroscience et Cognition”, plus précisément l’équipe Plasticité et Subjectivité, est précurseur dans la spécification et la mise en œuvre de thérapies par neurofeedback basé IRMf. Des travaux récents menés dans cette équipe, notamment dans le projet ANR INTRUDE1, ont montré qu’il est possible de décoder en temps-réel l’activité cérébrale mesurée par IRMf. Ce décodage met en évidence les crises d’HAVs et ouvre ainsi la voie à une potentielle thérapie par neurofeedback.
L’équipe BCI du laboratoire CRIStAL est quant a elle spécialisée dans la spécification, la conception et la validation d’interfaces cerveau–ordinateur (ICO). Ces dispositifs permettent notamment à des personnes affectées par un handicap moteur sévère de conserver un canal de communication avec leur entourage quand elles ont perdu toute capacité à contrôler leur activité musculaire. Dans les ICO développées à CRIStAL, l’activité du cerveau est mesurée par des dispositifs simples d’EEG.
Les chercheurs des deux équipes se connaissent bien et ont déjà établi des liens de collaboration, notamment via le co-encadrement de la thèse de Candela Donantueno financée par le programme PEARL2 (Donantueno et al. 2023). Cette deuxième thèse de Doctorat, co-encadrée par des chercheurs des deux équipes, leur permettra de poursuivre concrètement cette collaboration, confortant le volet recherche associé à l’alliance NeurotechEU3 dont fait partie notre université.
Objectifs et déroulement de la thèse
L’objectif primaire de la thèse sera de montrer que l’imagerie fonctionnelle cérébrale par électro-encéphalographie permet de détecter des neuromarqueurs d’une tâche de parole imaginée. Si ce premier objectif est pleinement atteint, un objectif secondaire consistera à tester si les même neuromarqueurs, ou des neuromarqueurs similaires, permettent de détecter des phases d’hallucinations auditives verbales chez des patients schizophrènes.
Dans un premier temps, il s’agira de d’étudier l’état de l’art dans le domaine de l’analyse de la parole intérieure par EEG. L’analyse de la production de parole par EEG est un domaine qui a été particulièrement exploré durant les dernières années et la bibliographie est riche. En revanche, l’analyse de la parole intérieure a été réalisée principalement par IRM fonctionnelle. Seules quelques études ont déjà été menées dans le domaine de l’analyse de la parole intérieure, et il s’agira naturellement en premier lieu d’identifier toutes les méthodes existantes. En conclusion de l’analyse de l’état de l’art, il faudra sélectionner les approches qui permettent d’analyser précisément l’activité du cerveau dans des zones prédéfinies, en l’occurrence celles qui pourraient contribuer à la survenue d’épisodes d’HAVs. Une première comparaison des performances pourra être réalisée sur des données publiques pré-existantes (Nieto et al. 2022).
Il s’agira ensuite de réaliser une première étude expérimentale, menée sur des sujets témoins, qui devra permettre de vérifier que la ou les méthodes d’analyse de l’EEG permettent de détecter correctement les phases d’une tâche de parole intérieure. Selon les besoins identifiés durant l’analyse de l’état de l’art, les tâches réalisées par les sujets pourront intégrer ou pas une interaction verbale avec une autre personne et/ou un avatar (Loevenbruck et al. 2019). Le/La candidate devra rédiger le protocole expérimental et se charger de la faire valider par le comité d’éthique de la recherche de l’Université de Lille. Les données enregistrées lors de cette expérimentation devront si possible être rendues publiques afin de servir de base de comparaison de différentes méthodes de traitement de l’EEG.
Si cette première étude permet d’identifier des neuromarqueurs fiables, résultant d’algorithmes de traitement des signaux EEG pouvant être exécutés en temps-réel, une deuxième étude expérimentale pourra être envisagée. Cette deuxième étude expérimentale intégrerait à la fois des sujets témoins et des patients.
Pré-requis
La personne recrutée pour préparer cette thèse de Doctorat devra disposer d’un diplôme de Master, ou équivalent à Bac+5 conférant un grade de Master, autorisant une inscription à l’École Doctorale MADIS. Ce diplôme devra correspondre à des spécialités de Master situées dans le périmètre de l’automatique, de l’informatique industrielle, du traitement du signal et des images, des neurosciences computationnelles, de l’informatique ou de l’intelligence artificielle.
Le/La candidat(e) retenu(e) devra disposer de compétences solides en programmation, notamment sous Python mais pas uniquement, qui lui permettront d’exploiter rapidement des bibliothèques d’analyse de signaux et de classification déjà disponibles.
Une aptitude à mener des recherches en suivant une approche expérimentale, acquise durant un projet ou un stage et attestée par au moins une lettre de recommandation, sera un atout. Bien évidemment, la créativité, l’autonomie, l’esprit d’équipe et le sens de la communication sont également des atouts précieux.
Concernant la question de la laïcité, il est rappelé par le juriste de l’université de Lille, que le doctorant contractuel, qu’il soit ou non en situation d’enseigner, est assimilé à un agent public et ne peut donc pas manifester son appartenance religieuse, notamment en arborant un signe ou une tenue destiné à marquer son appartenance religieuse.
Enfin, le travail de recherche sera mené dans une zone à régime restrictif (ZRR) d’accès au sens de l’article R413-5-1 du code pénal ou une unité sensible. Votre nomination et/ou affectation ne pourront intervenir, selon votre situation, qu’après avis de la part du Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité (HFDS).
Bibliographie
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Chung, K. H. L. 2023. “Who Is Talking Inside My Head? Establishing the Neurophysiological Basis of Inner Speech and Its Relation to Auditory Verbal Hallucinations.” PhD thesis, University of New South Wales, Sydney. https://doi.org/10.26190/unsworks/24885.
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Donantueno, C., P. Yger, F. Cabestaing, and R. Jardri. 2023. “fMRI-Based Neurofeedback Strategies and the Way Forward to Treating Phasic Psychiatric Symptoms.” Frontiers in Neuroscience 17. https://doi.org/10.3389/fnins.2023.1275229.
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Fovet, T., N. Orlov, M. Dyck, P. Allen, K. Mathiak, and R. Jardri. 2016. “Translating Neurocognitive Models of Auditory-Verbal Hallucinations into Therapy: Using Real-Time fMRI-Neurofeedback to Treat Voices.” Frontiers in Psychiatry 7. https://doi.org/10.3389/fpsyt.2016.00103.
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Loevenbruck, H., R. Grandchamp, L. Rapin, M. Perrone‐Bertolotti, C. Pichat, C. Haldin, E. Cousin, et al. 2019. “Neural Correlates of Inner Speaking, Imitating and Hearing: An fMRI Study.” In Proceedings of the 19th International Congress of Phonetic Sciences. https://hal.science/hal-02367806.
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Nieto, N., V. Peterson, H.-L. Rufiner, J.-E. Kamienkowski, and Spies R. 2022. “Thinking Out Loud, an Open-Access Eeg-Based Bci Dataset for Inner Speech Recognition.” Nature Scientific Data 9. https://doi.org/10.1038/s41597-022-01147-2.
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Rapin, L. 2011. “Hallucinations Auditives Verbales et Langage Intérieur Dans La Schizophrénie: Traces Physiologiques et Bases Cérébrales.” PhD thesis, Université de Grenoble. https://theses.hal.science/tel-00613573.